Extrait de " Rêveries sur les grands fonds " ed. Calligramme

L'artiste est seul témoin de son action. Doit-il décrire les mécanismes de sa production ? Son témoignage n'est pas sans relation avec le regard extérieur porté sur l'œuvre. Pour lui, théorie et pratique sont bien sûr intimement liées. Rien ne pourra jamais, cependant, exprimer l'inflexion du pinceau.

J'avais vingt ans. J'étais dans la nature, avec une boîte d'aquarelles. Mon intérêt se portait sur des rochers dont la forme répétitive en faisait presque une sculpture. J'essayais d'en tirer les éléments forts, d'en reproduire les tensions. L'exercice était très difficile, voire impossible. J'étais perdu. Deux solutions possibles me sont alors apparues clairement :

            — ou bien rester là à copier opiniâtrement la nature avec l'espoir d'en faire sourdre un jour la vérité ;
            — ou bien partir immédiatement avec le sentiment — encore confus — que ma propre nature pourrait, à                  l'instar d'un paysage tiré « de la nature », me permettre de réaliser différemment un tableau. Je suis parti.

Beaucoup de temps entre ce souvenir et le moment où j'essaie de formuler les images duprocessus créateur. Il n'y a qu'un seul monde des formes, mais de nombreuses manières de travailler à les voir surgir. Chercher le lien, entre soi et les formes du monde extérieur était mystérieusement devenu impossible. S'il n'était plus question de peindre un arbre, une tête, c'était sans doute parce que cela ne pouvait rien apporter de plus à l'idée d'arbre, de tête. Il fallait développer des méthodes, des « trucs » comme dit Max Ernst, pour filtrer autrement le réel.


Extrait de " Le Corps grotesque " ed. Folle Avoine

D'une part, peindre (ou penser) serait saisir ce qui fait écho, mettre en résonance. D'où une liste de ce qui attire :
l'eau calme,
l'eau qui ruisselle,
les marées, les ravinements qui dessinent le sable ,
les vagues, celles qui éclatent sur les rochers,
les ondulations, les champs de force dessinés,
les formes que l'eau engendre, leur ressemblance,
les structures,
la peau des choses qui me suffit (je n'aime pas ouvrir),
les réseaux, les strates,
les parois, les pierres,
les poils, leur agencement sur le corps, les tourbillons qu'ils
font pour épouser les volumes, (les herbes ne se comportent pas
autrement dans le vent),
les animaux, les oiseaux, les insectes,
les taches sur les feuilles,
les écorces,
les revêtements de mousse, de lichen, qui transforment la
perception des surfaces, des volumes,
les mouvements, les cieux, les « merveilleux nuages »,
le vent qui accorde si bien la sensation que l'on a de lui au
spectacle qu'il offre,
les tempêtes,
le corps des hommes, des femmes,
le crâne sous-jacent,
les veines sous la peau, la transparence,
la lumière qui rassemble,
le lever du jour,
la naissance des formes,
tout ça en vrac dans le shaker compositeur de boissons fortes. À secouer avec énergie.


Extrait de la revue " chemins " - de la perception

Je ne suis pas voyageur. Je parcours à la pointe de la Bretagne le même chemin côtier depuis plus de quarante ans. Il faut dire que le même est ici le changement même puisqu'il est fait d'eau, de ciel et de lumière. Je suis allé vers ces formes de bord de mer parce qu'elles m'attiraient, me concernaient. Je sentais obscurément qu'il y avait là le tout à voir :
          Les parois les falaises
          les ventres qui sortent de la pierre
          un monde mouillé très haut en couleur
          les variations infinies du sable et pour ne prendre qu'un exemple, cette manière qu'a l'eau de moduler le sable autour d'un « objet » quand la mer se retire... Chaque fois il est question d'une totalité. J'avais l'impression de voir parfaitement traité le problème pictural de l'objet et du fond.

En tant que peintre allais-je puiser dans le monde de ces formes familières au point de croire qu'elles pouvaient être miennes ? D'autre part, je prenais conscience, dans le long travail nécessaire à leur appropriation (appelé dessin), qu'il y avait une coupure. J'étais obligé de m'oublier pour saisir alors qu'il y avait fusion dans la perception. Aussi proche que j'étais de ces formes, ce n'étaient pas « mes formes ». La coupure nuisait à l'élan du faire. Attitudes contrariées dans l'échange du dehors et du dedans.

 

 

Extrait du livre " Les cartes à jouer du corps " ed. Folle Avoine

On ne dessine pas directement l'inconnu. Il arrive de biais.
Les moments du dessin aventureux correspondent à des états physiques précis qui sont les conditions de la mise en œuvre. Sorte de sensation cotonneuse, opacité cérébrale, brouillard que seule l'élaboration du dessin dissipe. Comme un nœud à défaire pour que quelque chose se résolve par l'arrivée d'un dessin. Rien d'un acte volontaire qui enfermerait dans les formes reçues mais la poursuite d'un état d'être au travail, propre à donner la parole à ce qu'il y a de plus enfoui en nous.
Quel est le guide ? A quoi faisons-nous confiance ? Sans doute et très exactement à ce qui nous constitue, avec quoi nous vivons au plus proche - ce qui nous constitue et nous relie. Ce transfert mimétique est un grand mystère.
Les "cartes à jouer du corps", c'est la donne.
Dessiner consiste à démarrer un tracé inattendu, pour qu'il s'organise, qu'il développe un principe qui le structure. C'est une attitude radicalement opposée au fait de dessiner quelque chose, devant soi ou dans sa tête.

 
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